L’Ukraine était déjà un pays miné. Le conflit avec la Russie vient alourdir ces pollutions à long terme.
17 juillet 2023

Les pollutions générées en temps de guerre sont des conséquences de l’intensité des destructions occasionnées par des armes d’une grande puissance, le bombardement d’installations industrielles et le déversement des produits chimiques renfermés dans les cavités creusées par les tirs.

Des contaminations liées directement aux armes, on sait peu de choses. Seules ont été étudiées les intoxications de civils et militaires par l’uranium appauvri : un métal dense, pyrophore, utilisé dans des projectiles perforants anti-blindage. Ces projectiles sont aujourd’hui inventoriés sur le terrain ukrainien par les instances internationales sur le déminage.

Engins non explosés, une menace durable

Plus préoccupante encore en Ukraine sera, à la sortie de guerre, la problématique du nettoyage des anciens champs de bataille, du débarrassage des restes et explosifs de guerre et des engins obsolètes.

Car les tirs s’accompagnent immanquablement de « ratés » qui, selon l’incidence de la trajectoire à l’impact et la nature du sol, ricochent ou pénètrent les sols. Ces engins non explosés sont à l’origine d’une pollution pyrotechnique des sols. Ils constituent une menace durable pour les populations et un frein à la sécurité des travaux de relèvement des ruines et de reconstruction.

L’Ukraine, minée de longue date

En Ukraine, la problématique n’est pas nouvelle : en 2014, le pays était déjà le plus miné au monde, surclassant la Syrie.

À compter de 1993, deux ans après la chute de l’URSS, les munitions conventionnelles sont ajoutées à la liste des armes démolies en Ukraine, dans la Fédération russe et les nouveaux États post-soviétiques. Les forces armées ukrainiennes héritent alors de quantités significatives de munitions, ainsi que du redéploiement d’armes sur leur territoire après le retrait des troupes russes des anciens états du Pacte de Varsovie. Conduisant ainsi à l’accumulation d’énormes stocks de munitions dans le pays.

Fin 2004, le stock officiel de munitions s’élevait à environ 2,5 millions de tonnes. 174 000 km2 de terrain seraient rendus dangereux par ces engins.

Un fonds d’affectation spéciale pour le projet-cadre de démilitarisation a donc été mis en place sous l’égide de l’OTAN. La seconde phase du projet a été initiée en 2011. Le leadership de l’opération a été octroyé aux États-Unis, mais d’autres pays et organisations internationales contribuent aussi sur le plan financier et opérationnel. Depuis, plus de 29 600 tonnes de munitions, 2,4 millions de mines antipersonnelles ont été éliminées.

Le futur défi de l’Ukraine

La quête d’une stratégie pour libérer les sols ukrainiens de ces surplus est devenue d’importance majeure, renforcée par la prolifération des armes et la pollution des sols par les engins, mines et projectiles non explosés depuis 2014.

La tâche est immense et les enjeux, aussi économiques, dépassent les frontières du pays. Les combats, puis la pollution des terrains entravent la libre culture des terres parmi les plus fertiles au monde et déséquilibrent les marchés du blé et des oléagineux au niveau mondial.

C’est donc un autre défi qui attend l’Ukraine lorsque se tairont les canons, celui de la sortie du conflit. Car comme l’a écrit le chimiste allemand Karlheinz Lohs en 1991, « la guerre ne se termine pas le jour du dernier tir » et l’histoire nous enseigne qu’entrer en guerre est moins complexe qu’en sortir.

Barrage détruit en Ukraine : retour sur une tactique militaire ancienne

La destruction du barrage de Kakhovka sur le fleuve Dniepr le 6 juin 2023 a inondé une zone de plus de 600 km2 dans le sud de l’Ukraine, sur la rive droite (contrôlée par les Ukrainiens) comme sur la rive gauche (occupée par les Russes).

18 milliards de m3 d’eau se sont ainsi déversés dans la région de Kherson récemment reconquise par les Ukrainiens, provoquant l’évacuation de milliers d’habitants. Pour les deux belligérants, le fleuve fait à présent obstacle à toute velléité d’offensive et de franchissement.

La guerre d’Ukraine remet ainsi sur le devant de la scène une tactique militaire ancienne : l’inondation artificielle. Par le passé, l’eau a déjà été sciemment exploitée par les militaires pour se protéger, faire obstacle et/ou gêner les manœuvres de l’adversaire.

Une tradition militaire belge

En août 1914, conformément aux prévisions du plan offensif Schlieffen, les troupes allemandes en Belgique progressent à une allure fulgurante. Comment barrer la route vers l’ouest à la déferlante germanique ? L’armée belge résiste malgré l’effet de surprise. Les Belges ont alors une idée puisée dans l’histoire de leur pays : l’usage des inondations volontaires à des fins militaires en Flandre.

C’est en effet par ce stratagème que Louis XIV fut victorieux en 1647, 1658 et 1677. C’est de la même façon que la ville belge de Nieuport avait pu tenir cinq années de siège, mené par les Français, lors de la Guerre de succession d’Autriche, et qu’elle se protégea en 1793 des troupes de la Convention.

Après avoir hésité, sachant bien que la salinisation par l’eau de mer allait condamner pour des années la fertilité des sols agricoles submergés, les Belges ouvrent finalement les portes de l’écluse du fleuve Yser à Nieuwpoort entre le 21 et le 30 octobre 1914. Ils provoquaient ainsi l’entrée de l’eau de la mer du Nord dans une partie du polder.